La crise sanitaire a entraîné une hausse de la dette publique française de dix-huit points entre 2019 et 2020. Que proposent les économistes et les politiques pour gérer la dette de la Covid, et quelles pourraient en être les conséquences pour les particuliers ?

L’axiome du « quoi qu’il en coûte » annoncé par le président de la République au début de la pandémie a permis au pays de traverser la tempête sanitaire. La dette publique française est toutefois passée de 97,6 % en 2019 à 115,7 % de la richesse nationale en 2020, selon l’Insee, loin des 60 % autorisés par les règles européennes. Aujourd’hui, différentes solutions sont envisagées pour gérer les 2 650 milliards d’euros que représente la dette de la Covid. Elles s’inscrivent dans un contexte politique particulier, à moins d’un an de l’élection d’un nouveau président de la République en France.

Quatre options de traitement à long terme
Sur des perspectives longues, quatre propositions sont avancées.

Annuler la dette Covid est une première piste. Les détenteurs de cette créance ne seraient jamais remboursés. Il s’agit en l’occurrence et pour le principal de la Banque centrale européenne (BCE), qui a massivement racheté les titres émis sur les marchés financiers par l’État français. En effet, près de 80% de la dette émise par la France en 2020 a été rachetée par les banques centrales, selon la Commission sur l’avenir des finances publiques. L’idée d’annuler la dette est défendue par une centaine d’économistes – dont Thomas Piketty (professeur à l’EHESS) et Gaël Giraud (directeur de recherche au CNRS) – ainsi que par certains partis et personnalités politiques comme La France Insoumise ou l’ancien ministre de l’Économie Arnaud Montebourg. Mais cette préconisation est contestée pour plusieurs raisons : cela enverrait un signal négatif aux marchés financiers et une hausse des taux d’intérêts pourrait s’ensuivre ; les pays « vertueux » du nord de l’Europe y mettraient sûrement leur veto ; un accord serait peu vraisemblable au niveau de l’Union européenne et de la BCE.

Une deuxième proposition consiste à transformer la dette de la Covid en une « dette perpétuelle ». L’emprunteur ne paie que les intérêts, pas le capital, avec des taux fixes. Cette solution est notamment soutenue par Alain Minc, économiste, dirigeant d’entreprise et soutien d’Emmanuel Macron, ou encore François Baroin, président de l’Association des maires de France. Mais la demande des investisseurs pour des dettes de très long terme est limitée.

Cantonner la dette Covid est une troisième possibilité, qui séduit Jérôme Creel, directeur des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La dette serait isolée dans une « caisse Covid » et remboursée grâce au produit d'un impôt. Une partie des recettes provenant de la reprise économique permettrait ainsi de l’amortir sur la durée. Mais pour éviter une hausse des prélèvements obligatoires, cette mesure devrait s’accompagner de réformes structurelles. C’est la piste envisagée un temps par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.

Dernière piste : juguler les déficits lorsque la crise sera derrière nous. L’application de la « règle d’or » aux dépenses publiques impliquant qu’elles ne doivent pas croître plus vite que le PIB, elle s’accompagnerait d’une nouvelle gouvernance des finances publiques. La Commission pour l’avenir des finances publiques, présidée par Jean Arthuis, plaide pour ce scénario d’une norme de dépenses pluriannuelle : la baisse de l’endettement passerait par la création d’un contexte favorable à la croissance et par un effort durable de réduction de la dépense publique, sans recourir à une hausse de la fiscalité.

Trois options de remboursement à court et moyen termes
Sur un traitement de la dette sur un horizon proche et rapide, trois thèses émergent.

Une première piste envisage une réduction rapide de l’endettement, comme le souhaite Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap). Le risque est toutefois de fragiliser la reprise. Reste aussi à déterminer quels acteurs supporteraient cet effort.

Une deuxième option consiste à mettre à contribution les secteurs ayant « indirectement profité » de la crise. Une solution plébiscitée par Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, alors que d’autres voix de gauche réclament d’augmenter le taux marginal d’imposition sur le revenu, voire les droits de succession ou encore de rétablir l’impôt sur la fortune (ISF). Un ISF européen est même envisagé par les économistes français Camille Landais, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman.

La troisième possibilité tient en une réduction progressive de la dette afin de ne pas casser la reprise économique et de profiter des taux d’intérêt bas. Cela induirait, dans un premier temps la stabilisation de la dette, puis des efforts pour la réduire lorsque la croissance sera revenue. Cette perspective est défendue par Olivier Blanchard (économiste, ancien directeur des études au Fonds monétaire international) et Jean Tirole (prix Nobel d’économie).

Premiers consensus
L’annulation de la dette, « solution magique » dénoncée notamment par les économistes Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l’Essec, ne devrait pas être suivie. Une réduction progressive des déficits afin de ne pas affaiblir la reprise et tirer parti des faibles taux d’intérêt semble faire consensus. Les tenants de cette position, comme Jean Tirole et Olivier Blanchard, relativisent l’importance de la dette en points de produit intérieur brut (PIB), car l’État français conserve une bonne réputation sur les marchés financiers.Ils partagent aussi l’idée du retour au sérieux budgétaire avec un effort sur la maîtrise des dépenses publiques et une réforme des outils de gouvernance (norme de dépenses, renforcement d’autorités indépendantes du type Haut Conseil des finances publiques). Enfin, des réformes structurelles sur les retraites sont d’ores et déjà à l’étude.

Ces débats autour de la dette ont des répercussions politiques : la BCE a lancé un programme d’achat de titres d’urgence et accordé aux banques des prêts bon marché pour soutenir l’activité économique, mais la question du retour à la normale va inévitablement se poser dans les prochains mois. Quant au traitement national de la dette, il sera sans doute au cœur des programmes des candidats à l’élection présidentielle de 2022 et constituera l’un des premiers défis du nouveau président élu.